Intégrer la méditation de la pleine conscience dans sa pratique d’orientation
Dans la continuité de mon précédent billet, j’aimerais m’arrêter ici sur la manière dont les conseillers d’orientation (mais pas uniquement) peuvent intégrer la méditation de la pleine conscience dans l’accompagnement qu’ils font auprès de leurs clients. Mais tout d’abord, en quoi cette pratique serait-elle bénéfique et auprès de qui ?
Avant tout, rappelons brièvement ce qu’est la méditation puis ce qu’est plus précisément la pleine conscience et en quoi elle consiste.
Bien qu’il n’y ait pas vraiment de consensus à propos de ce qui définit exactement la méditation (Berghmans, Strub et Tarquinio, 2008), 5 caractéristiques distinctes ressortent tout de même : la technique utilisée doit être précisément définie, les muscles doivent être entièrement relâchés, il doit y avoir une complète relaxation mentale amenant à un état d’esprit bien précis et utilisant la focalisation et l’attention (Cardoso, De souza, Camano, 2004).
En fait, la méditation cible l’autorégulation (notamment sur le plan des émotions), tandis que les notions de relaxation, de concentration, d’états altérés de la conscience, de suspension de la réflexion et de maintien d’une attitude d’auto-observation semblent en constituer les principaux ingrédients (Berghmans, Strub et Tarquino, 2008).
La méditation est une pratique très simple puisqu’il s’agit surtout, et avant tout, de décider de prendre une pause, en soi, simplement, en focalisant son attention sur un objet donné et dans le but de s’extraire pour un instant du bouillonnement incessant de nos vies souvent actives et bien remplies. Une respiration…dirigée…dans le fond.
Tandis qu’à l’origine, la pleine conscience est un concept enraciné au cœur même de la tradition spirituelle bouddhiste où la notion de moment présent et de conscience est essentielle pour se libérer des souffrances personnelles (Thera, Silananda, 1990, cités dans Bishop et al., 2010), Bishop et al. (2004), proposent de comprendre celle-ci dans une perspective visant à réduire notre vulnérabilité au stress et aux émotions douloureuses. En fait, au travers de la pleine conscience, il s’agit de développer et renforcer des aptitudes mentales visant à mieux répondre à la douleur émotionnelle accompagnée de comportements inadaptés.
« On ne peut pas empêcher les oiseaux de voler au dessus de notre tête, mais on peut les empêcher de faire un nid dans nos cheveux » (proverbe chinois).
Bishop et al., (2004), proposent une définition opérationnelle de la pleine conscience articulée autour de deux composantes, qui sont le principe d’auto régulation de la capacité d’attention et celui de l’orientation vers une expérience du moment présent. La première composante concerne la faculté d`être durablement et intensément plongé dans l’ici et le maintenant, de manière à ressentir ce qui se passe en soi, tant sur le plan des émotions vécues que des pensées qui traversent l’esprit. La seconde composante de la pleine conscience, autrement dit l’orientation vers une expérience du moment présent, est intimement liée à la pratique de la méditation qui favorise une prise de conscience distanciée des sentiments et sensations qui entrent dans le champ de conscience, et cela dans une attitude d’acceptation.
Une manière d’entrer dans un état de pleine conscience est donc de pratiquer la méditation.
Méditer, d’accord, mais… pour quoi faire ?
Peut-être est-ce, au départ, parce que notre vie ne répond pas à nos attentes, et en particulier notre travail et que par conséquent celui-ci nous amène à vivre du stress, de l’inquiétude, de la déception, de la colère, de l’anxiété et parfois même une certaine détresse. Bref, toutes sortes d’émotions fort désagréables qui cheminent dans notre tête et sans que nous puissions vraiment nous en détacher. La méditation nous enseigne alors à « appréhender les circonstances difficiles et les émotions et les tensions qu’elles engendrent avec équilibre, sérénité et compassion » (Bodian, 2005, p.28).
Dans le domaine de la carrière et du travail, il apparaît qu’un des poisons les plus toxiques (et pourtant les plus répandus) est constitué par le mythe de la comparaison : vis-à-vis de ce qu’on souhaiterait être ou avoir et vis-à-vis des autres !
À cela est rattaché ce que ce Christophe André nomme « la maladie matérialiste » (2006), qui consiste non plus à répondre à nos besoins, mais à en créer sans cesse de nouveaux. Christophe André (2006) précise une chose intéressante : ce matérialisme altère non seulement nos relations interpersonnelles en favorisant une estime de soi fragilisée, instable, autocentrée et dépendante des objectifs (quand j’aurai un bon emploi je serai alors heureux), mais aussi notre propre identité en entravant notre capacité attentionnelle, de réflexion, de distanciation et d’introspection !
Dans le fond, nous ne sommes pas seulement agrippés aux choses par nos mains, mais aussi par notre esprit (Kabat-Zin, 2004).
Face à des enjeux de carrière et des choix d’orientation professionnelle, il semble bien que plus les choix se multiplient, plus il nous soit difficile de nous décider (pensons, ne serait-ce qu’à la multiplicité des choix de cours par exemple), et ainsi plus le risque de regret augmente si le choix effectué nous apparaît être finalement insatisfaisant. Barry Schwartz (2004) qualifie d’ailleurs ce phénomène de « paradoxe du choix » ou notre liberté de choix et d’action n’est qu’apparente, car elle s’accompagne d’état d’âmes qui sont souvent fort négatifs pour notre propre bien-être. Autrement dit, quand on commence à regretter ce qu’on n’a plus ou qu’on n’a pas encore sans considérer ce qui est déjà, peut-être y a-t-il là le signe d’un besoin de reprendre son souffle….de méditer ?
Tandis que tous les types de méditation semblent être établis sur l’observation des activités de notre esprit (nos pensées, nos émotions, nos sensations) et l’acceptation de ces contenus (Berghmans, Strub et Tarquino, 2008), la méditation de la pleine conscience peut se définir comme une pratique qui consiste à devenir plus conscient de chaque instant et de notre expérience à cet instant (Braza, 2007). Puisque de façon générale, l’individu est normalement inattentif, peu présent dans ce qu’il fait et à l’instant où il le fait, Berghmans, Strub et Tarquino, (2008), résument la méditation de la pleine conscience de la manière suivante :
- un état dans lequel le sujet est hautement conscient du moment présent, le reconnaissant et l’acceptant ;
- un état dans lequel l’esprit du sujet ne se laisse pas emporter ou parasiter par des pensées, sensations ou émotions relatives à des expériences présentes, passées ou futures susceptibles de survenir ;
- un état dans lequel le sujet fait attention (observation) à l’expérience présente de manière vigilante ou encore au flux d’apparition de ses pensées, émotion et sensations au fur et à mesure de leur apparition dans une optique de non-jugement et de non-évaluation ;
- l’attention et l’habileté à se dégager de schémas de pensées potentiellement toxiques et qui rendent l’individu vulnérable à des états de stress et à d’autres états pathologiques.
Dans le fond, méditer en pleine conscience consiste à être le plus présent possible dans l’ici et le maintenant à l’expérience que nous sommes en train de vivre , sans filtre (en acceptant ce qui vient comme cela vient et sans pour autant que cela soit apparenté à de la résignation), sans jugement et sans attente…c’est donc être juste là (André, 2006). Simple et très compliqué à la fois.
Les exercices de méditation de la pleine conscience ont donc pour visée simplement de nous amener à maintenir notre esprit dans l’ici et maintenant alors, qu’à l’inverse, notre esprit nous emmène sans cesse à voyager dans le temps et parfois perdus entre des ruminations du passé et des anticipations excessives du futur (Harris, 2012).
En contexte d’orientation, face à des personnes qui expriment une grande inquiétude à l’égard de leur incertitude de carrière et qui semblent être aux prises avec des croyances, des pensés, des émotions qui tendent à rigidifier leur manière d’envisager les choses, exprimant elles-mêmes sauter sans cesse d’une idée à l’autre par exemple et ne plus parvenir à « calmer le hamster qui court en elles » , il peut être intéressant de les amener progressivement à ralentir le rythme de leurs pensées (pour y voir finalement plus clair) en cultivant la pleine conscience par des exercices d’observation et d’acceptation.
Ainsi et après avoir pris le temps d’expliquer en quoi consiste la méditation de la pleine conscience (la dimension psychoéducative de la démarche est très importante) un court exercice (en début de séance) de ralentissement visant à couper le mode de pilotage automatique de la personne en l’invitant à se centrer sur sa respiration peut être un bon exemple. Il en existe de toutes sortes (DVD, etc.), dont plusieurs exemples très pertinents sont consultables et téléchargeables ici
En général, ces exercices consistent à calmer le flot de son esprit en apprenant à concentrer son attention sur un objet (en général son souffle, son corps, les bruits environnants). Il s’agit en fait de devenir plus attentif au fonctionnement de son esprit.
Complémentairement, plusieurs types d’échanges peuvent avoir lieu et au premier desquels l’objectif étant d’amener progressivement la personne à prendre progressivement de la distance vis-à-vis de ses pensées, de ses émotions, de ses sensations pour les considérer pour ce qu’elles sont (c’est-à-dire des productions de notre esprit) et non pour ce qu’elles prétendent être, à savoir la réalité.
Ainsi, la métaphore de l’ours ou l’histoire d’ours est intéressante (Vandenbosch, 2012, dans Seznec, 2015 ) : en tant qu’être humain, on peut se mettre en colère, ressentir de la peur face à quelque chose de notre environnement que nous constatons avec nos cinq sens. Une voiture nous fonce dessus…En tant qu’être pensant, cette émotion peut tout autant surgir à la seule pensée d’un danger potentiel (par exemple je ne serais pas en mesure de retrouver un emploi satisfaisant) : le système émotionnel se met alors en branle face à la possibilité future d’occurrence de l’évènement : je suis stressé à l’idée de ne pas parvenir à trouver une nouvelle orientation professionnelle satisfaisante, etc. L’anxiété et le stress peuvent alors survenir et s’installer, car si on peut on peut échapper à un danger réel, on ne peut vivre en dehors de son cerveau et fuir ses pensées et ses émotions. L’anxiété est une émotion vague qui traduit de l’appréhension, de la détresse, une crainte avec ou sans objet. Elle peut être produite par diverses situations : une surabondance d’informations qu’on ne parvient pas à traiter (pensons à l’ISEP face à une personne qui cherche un programme d’études ou tente de faire un choix de carrière), la difficulté d’admettre certaines choses (par exemple la perte de son emploi), des évènements imprévisibles et incontrôlables dans notre vie, le sentiment de ne pas pouvoir faire face à sa situation d’incertitude de carrière ou de chômage, etc.
Au quotidien, posez-vous la question si votre réaction émotionnelle est consécutive à un fait vécu ou en relation avec une pensée ?
Réagissez-vous parce que vous êtes face à un ours ou parce que vous avez peur d’en croiser un ?
Soyez attentif aux émotions que vous ressentez et observez si celles-ci sont consécutives à ce qui vient de votre environnement où sont-elles été engendrées par un état interne et/ou une pensée ?
Par ailleurs et dans la continuité, les questions suivantes peuvent aussi amener à prendre conscience en quoi le fait d’être empêtré dans son esprit éloigne de ce qui compte pour soi, au risque de passer à côté de sa vie (Harris, 2012) :
À quoi cela vous mène de passer tant de temps à vous inquiéter du futur ou à regretter le passé ?
C’est vraiment là-dedans que vous souhaitez passer du temps ? Sinon, que pourriez-vous alors faire d’autre ?
De même et à n’importe quel moment de la rencontre, demander à la personne ou était son esprit à l’instant ? Que faisait-il ? Que lui disait-il ? Et cela avait quel impact sur elle ? Est-ce que ce que son esprit lui disait à l’instant lui était utile (par rapport au motif de consultation) ou pas ? etc.
En rencontre et si la personne démontre beaucoup de stress émotionnel, il peut être aussi possible de l’inviter à demeurer en contact avec celui-ci dans le moment présent (Harris, 2012). Par exemple, il serait alors possible de lui demander de nommer et d’explorer ce qu’elle ressent dans l’instant et/ou elle le ressent dans son corps. De même, lui demander si elle pourrait demeurer en contact avec ce qu’elle ressent tout en restant présente en rencontre.
Entre les rencontres, vous pouvez inviter votre client à pratiquer 10 à 15 minutes par jour de méditation de la plein conscience en téléchargeant les exercices dont voici à nouveau le lien, mais aussi pratiquer 5 à 10 respirations pleinement conscientes durant chaque journée, pratiquer aussi l’observation attentive et non-jugeante de son esprit à chaque fois que celui-ci l’emmène dans des tourments hostiles (Harris, 2012).
Introduire la pleine conscience consiste alors à faire prendre conscience que bien qu’il nous soit impossible d’empêcher notre esprit de laisser émerger des pensés et émotions douloureuses (elles sont même inévitables), nous pouvons par contre apprendre à les laisser aller et venir sans nous y accrocher en cultivant pour cela l’observation (de notre esprit) par l’entremise de la méditation.