Intégrer la méditation de la pleine conscience dans sa pratique d’orientation

Dans la continuité de mon précédent billet, j’aimerais m’arrêter ici sur la manière dont les conseillers d’orientation (mais pas uniquement) peuvent intégrer la méditation de la pleine conscience dans l’accompagnement qu’ils font auprès de leurs clients. Mais tout d’abord, en quoi cette pratique serait-elle bénéfique et  auprès de qui ?

Avant tout, rappelons brièvement ce qu’est la méditation puis ce qu’est plus précisément la pleine conscience et en quoi elle consiste.

Bien qu’il n’y ait pas vraiment de consensus à propos de ce qui définit exactement la méditation (Berghmans, Strub et Tarquinio, 2008), 5 caractéristiques distinctes ressortent tout de même : la technique utilisée doit être précisément définie, les muscles doivent être entièrement relâchés,  il doit y avoir une complète relaxation mentale amenant à un état d’esprit bien précis et utilisant la focalisation et l’attention (Cardoso, De souza, Camano, 2004).

En fait, la méditation cible l’autorégulation (notamment sur le plan des émotions), tandis que les notions de relaxation, de concentration, d’états altérés de la conscience, de suspension de la réflexion et de maintien d’une attitude d’auto-observation semblent en constituer les principaux ingrédients (Berghmans, Strub et Tarquino, 2008).

La méditation est une pratique très simple puisqu’il s’agit surtout, et avant tout, de décider de prendre une pause, en soi, simplement, en focalisant son attention sur un objet donné et dans le but de s’extraire pour un instant du bouillonnement incessant de nos vies souvent actives et bien remplies. Une respiration…dirigée…dans le fond.

Tandis qu’à l’origine, la pleine conscience est un concept enraciné au cœur même de la tradition spirituelle bouddhiste où la notion de moment présent et de conscience est essentielle pour se libérer des souffrances personnelles (Thera, Silananda, 1990, cités dans Bishop et al., 2010), Bishop et al. (2004), proposent de comprendre celle-ci dans une perspective visant à réduire notre vulnérabilité au stress et aux émotions douloureuses. En fait, au travers de la pleine conscience, il s’agit de développer et renforcer des aptitudes mentales visant à mieux répondre à la douleur émotionnelle accompagnée de comportements inadaptés.

« On ne peut pas empêcher les oiseaux de voler au dessus de notre tête, mais on peut les empêcher de faire un nid dans nos cheveux » (proverbe chinois).

Bishop et al., (2004), proposent une définition opérationnelle de la pleine conscience articulée autour de deux composantes, qui sont le principe d’auto régulation de la capacité d’attention et celui de l’orientation vers une expérience du moment présent. La première composante concerne la faculté d`être durablement et intensément plongé dans l’ici et le maintenant, de manière à ressentir ce qui se passe en soi, tant sur le plan des émotions vécues que des pensées qui traversent l’esprit. La seconde composante de la pleine conscience, autrement dit l’orientation vers une expérience du moment présent, est intimement liée à la pratique de la méditation qui favorise une prise de conscience distanciée des sentiments et sensations qui entrent dans le champ de conscience, et cela dans une attitude d’acceptation.

Une manière d’entrer dans un état de pleine conscience est donc de pratiquer la méditation.

Méditer, d’accord, mais… pour quoi faire ?

Peut-être est-ce, au départ, parce que notre vie ne répond pas à nos attentes, et en particulier notre travail et que par conséquent celui-ci nous amène à vivre du stress, de l’inquiétude, de la déception, de la colère, de l’anxiété et parfois même une certaine détresse.  Bref, toutes sortes d’émotions fort désagréables qui cheminent dans notre tête et sans que nous puissions vraiment nous en détacher. La méditation nous enseigne alors à « appréhender les circonstances difficiles et les émotions et les tensions qu’elles engendrent avec équilibre, sérénité et compassion » (Bodian, 2005, p.28).

Dans le domaine de la carrière et du travail, il apparaît qu’un des poisons les plus toxiques (et pourtant les plus répandus) est constitué par le mythe de la comparaison : vis-à-vis de ce qu’on souhaiterait être ou avoir et vis-à-vis des autres !

À cela est rattaché ce que ce Christophe André nomme « la maladie matérialiste » (2006), qui consiste non plus à répondre à nos besoins, mais à en créer sans cesse de nouveaux.  Christophe André (2006) précise une chose intéressante : ce matérialisme altère non seulement nos relations interpersonnelles en favorisant une estime de soi fragilisée, instable, autocentrée et dépendante des objectifs (quand j’aurai un bon emploi je serai alors heureux), mais aussi notre propre identité en entravant notre capacité attentionnelle, de réflexion, de distanciation et d’introspection !

Dans le fond, nous ne sommes pas seulement agrippés aux choses par nos mains, mais aussi par notre esprit (Kabat-Zin, 2004).

Face à des enjeux de carrière et des choix d’orientation professionnelle, il semble bien que plus les choix se multiplient, plus il nous soit difficile de nous décider (pensons, ne serait-ce qu’à la multiplicité des choix de cours par exemple), et ainsi plus le risque de regret augmente si le choix effectué nous apparaît être finalement insatisfaisant. Barry Schwartz (2004) qualifie d’ailleurs ce phénomène  de « paradoxe du choix » ou notre liberté de choix et d’action n’est qu’apparente, car elle s’accompagne d’état d’âmes qui sont souvent fort négatifs pour notre propre bien-être. Autrement dit, quand on commence à regretter ce qu’on n’a plus ou qu’on n’a pas encore sans considérer ce qui est déjà, peut-être y a-t-il là le signe d’un besoin de reprendre son souffle….de méditer ?

Tandis que tous les types de méditation semblent être établis sur l’observation des activités de notre esprit (nos pensées, nos émotions, nos sensations) et l’acceptation de ces contenus (Berghmans, Strub et Tarquino, 2008),  la méditation de la pleine conscience peut se définir comme une pratique qui consiste à devenir plus conscient de chaque instant et de notre expérience à cet instant (Braza, 2007). Puisque de façon générale, l’individu est normalement inattentif, peu présent dans ce qu’il fait et à l’instant où il le fait,  Berghmans, Strub et Tarquino, (2008), résument la méditation de la pleine conscience de la manière  suivante :

  • un état dans lequel le sujet est hautement conscient du moment présent, le reconnaissant et l’acceptant ;
  • un état dans lequel l’esprit du sujet ne se laisse pas emporter ou parasiter par des pensées, sensations ou émotions relatives à des expériences présentes, passées ou futures susceptibles de survenir ;
  • un état dans lequel le sujet fait attention (observation) à l’expérience présente de manière vigilante ou encore au flux d’apparition de ses pensées, émotion et sensations au fur et à mesure de leur apparition dans une optique de non-jugement et de non-évaluation ;
  • l’attention et l’habileté à se dégager de schémas de pensées potentiellement toxiques et qui rendent l’individu vulnérable à des états de stress et à d’autres états pathologiques.

Dans le fond, méditer en pleine conscience consiste à être le plus présent possible dans l’ici et le maintenant à l’expérience que nous sommes en train de vivre , sans filtre (en acceptant ce qui vient comme cela vient et sans pour autant que cela soit apparenté à de la résignation), sans jugement et sans attente…c’est donc être juste là (André, 2006). Simple et très compliqué à la fois.

Les exercices de méditation de la pleine conscience ont donc pour visée simplement de nous amener à maintenir notre esprit dans l’ici et maintenant alors, qu’à l’inverse, notre esprit nous emmène sans cesse à voyager dans le temps et parfois perdus entre des ruminations du passé et des anticipations excessives du futur (Harris, 2012).

En contexte d’orientation,  face à des personnes qui expriment une grande inquiétude à l’égard de leur incertitude de carrière et qui semblent être aux prises avec des croyances, des pensés, des émotions qui tendent à rigidifier leur manière d’envisager les choses, exprimant elles-mêmes sauter sans cesse d’une idée à l’autre par exemple et ne plus parvenir à « calmer le hamster qui court en elles » ,  il peut être  intéressant de les amener progressivement à ralentir le rythme de leurs pensées (pour y voir finalement plus clair) en cultivant la pleine conscience par des exercices d’observation et d’acceptation.

Ainsi et après avoir pris le temps d’expliquer en quoi consiste la méditation de la pleine conscience (la dimension psychoéducative de la démarche est très importante)  un court exercice (en début de séance) de ralentissement visant à couper le mode de pilotage automatique de la personne en l’invitant à se centrer sur sa respiration peut être un bon exemple. Il en existe de toutes sortes (DVD, etc.), dont plusieurs exemples très pertinents sont consultables et téléchargeables ici

En général, ces exercices consistent à calmer le flot de son esprit en apprenant à concentrer son attention sur un objet (en général son souffle, son corps, les bruits environnants). Il s’agit en fait de devenir plus attentif au fonctionnement de son esprit.

Complémentairement, plusieurs types d’échanges peuvent avoir lieu et au premier desquels l’objectif étant d’amener progressivement la personne à prendre progressivement de la distance vis-à-vis de ses pensées, de ses émotions, de ses sensations pour les considérer pour ce qu’elles sont  (c’est-à-dire des productions de notre esprit) et non pour ce qu’elles prétendent être, à savoir la réalité.

Ainsi, la métaphore de l’ours ou l’histoire d’ours est intéressante (Vandenbosch, 2012, dans Seznec, 2015 ) : en tant qu’être humain, on peut se mettre en colère, ressentir de la peur face à quelque chose de notre environnement que nous constatons avec nos cinq sens. Une voiture nous fonce dessus…En tant qu’être pensant, cette émotion peut tout autant surgir à la seule pensée d’un danger potentiel (par exemple je ne serais pas en mesure de retrouver un emploi satisfaisant) : le système émotionnel se met alors en branle face  à la possibilité future d’occurrence de l’évènement : je suis stressé à l’idée de ne pas parvenir à trouver une nouvelle orientation professionnelle satisfaisante, etc. L’anxiété et le stress peuvent alors survenir et s’installer, car si on peut on peut échapper à un danger réel, on ne peut vivre en dehors de son cerveau et fuir ses pensées et ses émotions. L’anxiété est une émotion vague qui traduit de l’appréhension, de la détresse, une crainte avec ou sans objet. Elle peut être produite par diverses situations : une surabondance d’informations qu’on ne parvient pas à traiter (pensons à l’ISEP face à une personne qui cherche un programme d’études ou tente de faire un choix de carrière), la difficulté d’admettre certaines choses (par exemple la perte de son emploi),  des évènements imprévisibles et incontrôlables dans notre vie, le sentiment de ne pas pouvoir faire face à sa situation d’incertitude de carrière ou de chômage, etc.

Au quotidien, posez-vous la question si votre réaction émotionnelle est consécutive à un fait vécu ou en relation avec une pensée ?

Réagissez-vous parce que vous êtes face à un ours ou parce que vous avez peur d’en croiser un ?

Soyez attentif aux émotions que vous ressentez et observez si celles-ci sont consécutives à ce qui vient de votre environnement où sont-elles été engendrées par un état interne et/ou une pensée ?

Par ailleurs et dans la continuité, les questions suivantes peuvent aussi amener à prendre conscience en quoi le fait d’être empêtré dans son esprit éloigne de ce qui compte pour soi, au risque de passer à côté de sa vie (Harris, 2012) :

À quoi cela vous mène de passer tant de temps à vous inquiéter du futur ou à regretter le passé ?

C’est vraiment  là-dedans que vous souhaitez passer du temps ? Sinon, que pourriez-vous alors faire d’autre ?

De même et à n’importe quel moment de la rencontre, demander à la personne ou était son esprit à l’instant ? Que faisait-il ? Que lui disait-il ? Et cela avait quel impact sur elle ? Est-ce que ce que son esprit lui disait à l’instant lui était utile (par rapport au motif de consultation) ou pas ? etc.

En rencontre et si la personne démontre beaucoup de stress émotionnel, il peut être aussi possible de l’inviter à demeurer en contact avec celui-ci dans le moment présent (Harris, 2012). Par exemple, il serait alors possible de lui demander de nommer et d’explorer ce qu’elle ressent dans l’instant et/ou elle le ressent dans son corps.  De même, lui demander si elle pourrait demeurer en contact avec ce qu’elle ressent tout en restant présente en rencontre.

Entre les rencontres, vous pouvez inviter votre client à pratiquer 10 à 15 minutes par jour de méditation de la plein conscience en téléchargeant les exercices dont voici à nouveau le lien, mais aussi pratiquer 5 à 10 respirations pleinement conscientes durant chaque journée, pratiquer aussi l’observation attentive et non-jugeante de son esprit à chaque fois que celui-ci l’emmène dans des tourments hostiles (Harris, 2012).

Introduire la pleine conscience consiste alors à faire prendre conscience que bien qu’il nous soit impossible d’empêcher notre esprit de laisser émerger des pensés et émotions douloureuses (elles sont même inévitables),  nous pouvons par contre apprendre à les laisser aller et venir sans nous y accrocher en cultivant pour cela l’observation (de notre esprit) par l’entremise de la méditation.

 

 

 

Sortir de l’indécision en apprenant d’abord à se dissocier des maux de son esprit

Dans la continuité de l’article précédent que j’avais rédigé au sujet de la sagesse du bouddhisme pour clarifier son orientation de carrière, j’aimerais ici revenir sur les notions « d’attention et de concentration juste » que j’avais évoquées à propos du noble sentier octuple et qui renvoient toutes deux à la question de la pratique méditative. En particulier de la méditation de la pleine conscience.

Essentiellement, il existe fondamentalement deux types de méditations : celle qui cible « le calme mental » (Ricard, 2008) et celle qui vise à développer « une vision pénétrante des choses et de soi » (Ricard, 2008, p.14).  Vous l’aurez deviné, les deux se complètement tandis qu’il faut préalablement apaiser son esprit (et c’est l’aspect auquel je vais m’intéresser) pour ensuite apprendre à renforcer le pouvoir de concentration auquel invite le second volet de la médiation.

En lieu et place d’une tentative de « justification » de la pratique de la médiation de la pleine conscience, je paraphraserai les mots limpides de Matthieu Ricard et qu’on retrouve dans son ouvrage, l’art de la méditation (2008). Ainsi, et  tandis que nous déployons beaucoup d’effort pour « améliorer les conditions extérieures de notre existence » (Ricard, 2008, p.18), et puisque toute notre expérience du monde passe par notre esprit qui traduit celle-ci sous forme de bien-être ou de souffrance, il n’est alors pas insensé d’envisager d’apprendre à transformer la manière avec laquelle nous percevons les choses. L’avantage semble évident : nous sommes alors susceptibles d’améliorer notre qualité de vie.

En somme, cet apprentissage par entraînement de l’esprit n’est rien de plus ni de moins que la méditation.

Quand il est question de recherche d’amélioration des conditions (extérieures, mais pas uniquement) de notre existence, on peut, bien évidemment, y déceler des enjeux clairement carriérologiques qu’il est possible alors d’aborder sous l’angle de la théorie du capital humain. Rappelons, à son sujet, qu’elle valorise l’investissement par les individus eux-mêmes dans leur capacité d’amélioration des possibilités d’emploi (Tremblay, 2011), en renvoyant à l’éducation, à la formation professionnelle, à l’information recherchée sur le marché du travail et à la mobilité professionnelle (Tremblay, 2011).

Ce désir de valorisation est d’ailleurs susceptible de s’incarner de manière particulièrement accentuée chez certains gestionnaires qui, dans un contexte généralisé de défiance qu’ils nourrissent à l’égard des organisations (Enriquez, 2005), et consécutivement au recentrement qu’ils opèrent alors sur eux-mêmes (Hall, 1996), et à partir d’indications sommaires de leur situation (Cadin, 1999), n’hésitent alors pas à offrir leurs services aux plus offrants. Quiconque en orientation est  amené à accompagner des gestionnaires peut faire le constat de ce désir d’amélioration, de valorisation, d’optimisation de leur employabilité par la recherche d’une  recette, d’un outil, voire d’une « clé » qui leur ouvrirait, à nouveau, les portes du succès.

Avant de revenir à la méditation, tentons de clarifier juste un peu ce qu’est l’indécision. De manière générale, elle traduit un manque de clarté par rapport à une direction à donner (Cnrtl, 2016), révélant un certain embarras, une confusion, une hésitation, une incertitude, bref une irrésolution à se décider dans le fond !

Face à individu confronté à une grande difficulté à prendre une décision (par exemple vis-à-vis d’un choix de métier ou par rapport à une démission suite à une insatisfaction en emploi et pour opérer alors une réorientation de carrière, etc.), il apparaît souvent pour l’accompagnateur que la capacité d’attention de son client est grandement affectée, au sens ou cette attention réfère alors à une «tension de l’esprit vers un objet à l’exclusion de tout autre » (Cnrtl, 2016). En d’autres termes, l’attention englobe ici notamment la réflexion, l’analyse, la sensibilité, la concentration et surtout l’introspection.

Bien entendu, les conseillers d’orientation ne sont pas démunis en termes « d’outils » pour tenter d’aider une telle personne à « remettre de l’ordre dans ses idées » avec, par exemple, les modèles de prises de décision qui amènent à considérer que lorsqu’une décision semble impossible à prendre, il faut peut-être alors tenter d’exercer un meilleur contrôle de ses pensées  pour en modifier le contenu et ainsi accroître sa capacité à prendre des décisions et à les exécuter (Peterson, 2000). Force est de constater que cette vision, fondée sur le contrôle, peut être discutée.

Plus largement, d’autres stratégies peuvent aussi proposer de décortiquer la situation en plusieurs sous-problèmes et analyser ensuite les avantages et inconvénients qu’il peut y avoir pour chacun, etc.. De même encore, d’autres approches plus contructionnistes cette fois (Savickas, Nota et al., 2010), ciblent alors davantage le sens que les individus souhaitent donner à leur vie et par extension à leur travail. Face à une telle situation d’indécision, il peut être alors question pour le conseiller d’orientation par exemple d’aider son client à mieux comprendre les logiques évolutives (Bernaud, 2013), qui sous-tendent ses choix de carrière passés en l’aidant, via des récits et autres lignes de vie par exemple, à mieux comprendre les différentes formes que peuvent prendre sa propre identité et selon ses contextes et ses environnements de vie.

Bien que forts intéressants, force est de constater que pour que de telles stratégies ou modèles puissent s’avérer être « efficaces », il est avant tout nécessaire que la personne soi en mesure d’engager des ressources cognitives telles que  la concentration, le sens de l’analyse et de la réflexion notamment.

Pourtant : comment de telles dispositions pourraient-elles être présentes alors même que cette personne, face à des difficultés de prise de décision, est certainement empreinte à de l’inquiétude, du tourment, pour ne pas dire de l’angoisse, de l’impuissance, voire de la détresse parfois ? À ce titre, rappelons que plus de la moitié des individus qui consultent aujourd’hui en orientation souffrent de détresse psychologique en relation avec des difficultés de prise de décision (Multon, 2001 ; 2007).

Il y aurait donc peut-être lieu de voir les choses autrement.

Galilée, grand astronome italien du 16e siècle et qui avait conçu une lunette astronomique si puissante (permettant d’observer des planètes encore inconnues) qu’elle ouvrit la voie à l’astronomie moderne, n’aurait certainement pas tant marqué l’histoire des hommes si son invention avait été défectueuse (Ricard, 2008).

De la même manière, si nous souhaitons pouvoir observer les mécanismes les plus subtils du fonctionnement de notre esprit et ensuite agir sur eux afin d’être en mesure, par exemple, de prendre des décisions sensées et congruentes vis-à-vis de sa carrière, il semble qu’il soit nécessaire d’être en mesure d’affiner notre capacité d’attention et de notre pouvoir d’introspection (Ricard, 2015). Nous revoilà donc face à la méditation.

Tandis que la méditation de la pleine conscience réfère à un état d’ouverture découlant d’une attention qui est focalisée  sur ce qu’il se passe en soi et à l’extérieur de soi, dans le moment présent et de manière qui soit non jugeante (Kabat-Zinn, 2003), elle vise à nous permettre de mieux « observer le fonctionnement de notre esprit, la manière dont il perçoit le monde, et comprendre l’enchaînement des pensées » (Ricard, 2008, p.26).

Puisque notre esprit peut faire « de notre paradis un enfer et de notre enfer un paradis » (Milton), la méditation de la pleine conscience nous enseigne avant tout à calmer le flot de notre esprit pour reconquérir notre capacité d’attention et d’introspection afin de devenir plus sensible à ce qui est important pour nous (par exemple en termes de besoins, de valeurs) de ce qui l’est moins.

Il semble donc qu’en contexte d’orientation et en situation d’anxiété par rapport à de l’indécision, la méditation de la pleine conscience ait définitivement quelque chose d’intéressant à nous apporter.

Il serait trop long d’entrer ici dans le détail des mécanismes de fonctionnement de la méditation de la pleine conscience ainsi que la manière de les opérationnaliser en contexte d’orientation. Tout de même et alors qu’il existe une multitude d’exercices liés à l’enseignement de la méditation de la pleine conscience,  il semble qu’il soit tout à fait possible de l’intégrer d’ores et déjà sous forme d’exercice préliminaire à une rencontre de counseling en orientation. À cet effet, « les exercices de pleine conscience commencent souvent en dirigeant l’attention du client sur le mouvement de sa respiration tout en l’amenant à observer et à décrire les différentes composantes psychologiques qui le traversent dans le moment. Un autre exercice, intitulé « les feuilles sur la rivière », permet au client de visualiser qu’il dépose chaque pensée naissante sur des feuilles flottant sur une rivière et qu’il les observe en train de défiler en suivant le cours de l’eau » (Dionne et Neveu, 2009).

Afin que l’indécision puisse se transformer en quelque chose de plus positif pour l’individu, comme par exemple la tentative de s’adapter et de faire preuve d’ouverture et de souplesse face au changement (Gelatt, 1989 ; Krumboltz, 1992), la méditation de la pleine conscience pourrait représenter une pratique intéressante pour s’y préparer.

La question de son opérationnalisation en séance d’orientation fera l’objet d’un prochain billet. Ceci dit et pour ceux que cela intéresse, je vous invite à lire cet article (Grégoire, Baron et Baron, 2012), qui traite de la pleine conscience en counseling.

 

Une introduction à la sagesse du bouddhisme pour clarifier son orientation de carrière

S’il fallait résumer en une phrase ce qui est visé à travers la pratique du bouddhisme, on pourrait alors citer ceci : «Vouloir ce que l’on a et ne pas vouloir ce que l’on n’a pas» (Boudha).

Ce qui se cache derrière cela ? Une certaine idée qu’on peut se faire d’un contentement heureux et bienveillant à l’égard de soi-même et des autres.

De tradition  millénaire, le bouddhisme  devient, depuis quelques années déjà, très populaire dans bien des domaines.  Concept « à la mode », il fait l’objet d’une couverture médiatique foisonnante.  En France, des personnalités telles que Frédéric Lenoir, Christophe André, Fabrice Midal et surtout Matthieu Ricard contribuent à l’émancipation de cette spiritualité d’une incroyable modernité.

Dans le domaine de la psychologie du travail, plusieurs tentatives sont faites pour adapter aux réalités d’un monde du travail instable et incertain plusieurs notions  centrales dans le bouddhisme.   Des programmes d’interventions inspirés du bouddhisme ont démontré une certaine efficacité auprès de toute sorte d’individus en milieu de travail (Bond et Bunce, 2003 ; Flaxman  et  Bond, 2010).

En clair, et bien qu’il ne soit pas question ici d’entrer dans le détail de tels programmes,  il apparaît que ceux-ci (Shapiro et al., 2010),  peuvent être utiles pour contribuer à réduire le stress, l’anxiété et l’épuisement professionnel (Brinkborg et al., 2011).

Avant d’aller plus loin, revenons à l’essentiel : qu’est-ce que le bouddhisme ? Difficile de circonscrire cette spiritualité en quelques mots. Pourtant.

Né il y a quelque 2500 ans dans le Népal actuel et à la différence des grandes religions monothéistes qui promettent un bonheur dans l’ailleurs post-mortem, le bouddhisme propose de nous aider à prendre des dispositions concrètes pour connaître le bonheur dans notre vie présente.  Pour cela, il nous invite à comprendre notre vraie nature afin de la révéler à nous-mêmes puis aux autres (Landaw et Bodian 2007 ; Losier, 2008).

À l’heure d’une orientation de carrière ou d’un choix d’études, la connaissance de soi qui découle d’une meilleure compréhension de soi représente là un thème tout à fait central.

Pour parvenir à cette compréhension et cette « révélation », le bouddhisme enseigne avant tout une manière de chercher à mieux comprendre comment fonctionne notre esprit car c’est lui qui détermine et crée tout notre vécu ! (Landaw et Bodian, 2007).

Autrement dit et sur le plan philosophique cela nous ramène à la fois au fameux « connais-toi toi-même » de Platon et repris par Socrate, mais aussi à la question de la sincérité vis-à-vis de la connaissance de soi : est-elle tout simplement envisageable ?

Tandis que pour les socratiques la connaissance de soi renvoie « à la conscience que l’on a de son propre savoir aussi bien que de son ignorance » (Tsouna, 2001, p.38), elle évoque d’emblée une démarche spirituelle (Laurentiu, 2014), puisqu’il s’agit alors d’instaurer un rapport de soi à soi constituant le fondement même d’une démarche introspective et spirituelle (Hardot, 1989).

En psychologie, cette connaissance de soi est indissociable de l’identité, et qui  désigne un ensemble de représentations mentales que l’on entretient sur nous-mêmes ainsi que le phénomène de conscience qui lui est alors associé  ( Duval, Desgranges, Eustache, Piolino, 2009).

Young (1971), évoque dans son approche du cycle de la vie humaine, une montée progressive durant la vie de la conscience de soi et qui aboutit à ce qu’il nomme  « l’individuation ». Houde (1999), résume celle-ci en tant « qu’unité autonome et intégrée » (p.27), c’est-à-dire une individualité qui permet peu à peu une plus grande expression de soi, une personnalité pleine et entière. Pour Young, l’individuation représente une « quête psychospirituelle » (cité par Houde, 1999, p.26), tout comme pour les stoïciens, la connaissance de soi s’apparente à un exercice de nature spirituelle.

De manière assez proche finalement, la psychologie de l’orientation consiste à faire en sorte que l’individu puisse découvrir celui qu’il est et celui qu’il souhaite devenir, en l’aidant à définir des domaines, des activités de travail dans lesquelles il pourrait développer « les formes identitaires les plus importantes pour lui »(Guichard et Huteau, 2006, p.82). Autrement dit, l’orientation et par conséquent le conseiller d’orientation, privilégie alors la connaissance de soi pour aider la personne à devenir plus à même de cibler ensuite des domaines d’emploi susceptibles de convenir à sa personnalité.

Comprendre sa vraie nature contribue donc à développer la connaissance de soi et qui elle-même favorise des choix de carrière ou d’emploi possiblement plus éclairés….

Revenons à présent au bouddhisme. On l’a vu, dans cette tradition, la connaissance soi consiste alors à mieux comprendre comment fonctionne notre esprit, notre mental, car c’est lui qui détermine et conditionne toute notre expérience du monde.

De même, la sagesse du bouddhisme nous enseigne que cette connaissance de soi ne peut être que partielle et limitée, car il est impossible d’avoir une connaissance forte et précise de son identité, notamment parce que nous sommes, par essence, éphémères et fragiles. Il s’agit en fait de se libérer progressivement de son ego en prenant conscience que la personnalité est une représentation de soi. Il faut l’accepter dans ses limites et ses faiblesses (Losier, 2008).

4 principes fondamentaux permettent de saisir l’essence même du bouddhisme (Landaw et Bodian 2007). Bien qu’ils puissent paraître être d’une grande simplicité, ils demeurent d’autant plus pertinents que dans notre société moderne, on cherche davantage à lutter contre notre inconfort qu’à réellement nous connaître (Hirigoyen, 2007, cité par Losier, 2008).

Dans ce contexte, une solution consisterait donc à nous déraciner de l’attachement causé par le désir. En effet, le problème ne réside pas dans la préférence, les intérêts et les souhaits que l’on exprime, par exemple à l’égard d’un choix d’études ou vis-à-vis d’une profession, mais dans le rapport très fort que l’on entretient avec ses souhaits et désirs.  Et si on n’obtient pas ce que l’on désire, que se passe-t-il ? La déception laisse-t-elle alors la place à de la frustration et de la colère ?

En orientation, il arrive que l’on s’attache depuis très longtemps à des conceptions  possiblement irréalistes de soi et vis-à-vis d’un métier désiré.  Mais alors, dans quelle mesure nos croyances à l’égard d’une profession n’entretiennent-elles pas notre ego au détriment de notre moi profond ? Voilà une question fondamentale à laquelle la sagesse du bouddhisme nous invite à réfléchir.

Autrement dit, il arrive que nous entretenions des croyances si fortes que nous nous identifions à elles au point de considérer que de ces dernières dépendrait notre propre survie, ou en tout cas notre bonheur. Autrement dit, ce que nous possédons et faisons seraient les déterminants ultimes de qui nous sommes. Pourtant, ne sommes-nous pas aussi autre chose ?…bien plus que cela même ? On pourrait rapprocher cette idée de motivations qualifiées « d’extrinsèques » quant aux choix que nous faisons à l’égard, par exemple, d’une programme d’études ou vis-à-vis d’une profession.

Dans cette perspective, il est possible de que ce soit alors nos propres conceptions de l’esprit qui entretiennent notre vision des choses et de notre situation et qui nous emprisonnent alors. Ainsi : la vision que nous entretenons à l’égard de notre situation de carrière rigidifie notre propre capacité à changer. Voila, là encore, une sagesse fort utile pour mettre à distance nos croyances et nos représentations dans une perspective critique et constructive.

Le 4e principe fondamental du bouddhisme énuméré plus haut conduit à ce qui est appelé le noble sentier octuple et qui a pour objectif de nous aider à trouver les moyens de vivre une vie plus authentique (Dang Truc, 2013).

Ce sentier fait référence au cheminement intérieur qui consiste à trouver en soi le sens qu’on souhaite donner à sa vie et, par extension, à son travail en adoptant une manière  d’avancer et de se questionner qui soit authentique, humble, introspective et tournée vers les autres.

Le noble sentier octuple comporte 8 caractéristiques et qui symbolisent la totalité de l’existence humaine en tant que telle (Dang Truc, 2013).  Les voici :

La compréhension juste :  il s’agit de prendre peu à peu conscience du fait que notre état quasi permanent d’insatisfaction (à l’égard de notre emploi, de nos relations, de notre vie) est consécutif de désirs non assouvis et que l’on croit être fondamentaux ou en tout cas desquels contribuerait notre propre bonheur (par exemple, quand je serai médecin je serai heureux).  Par ailleurs, le bouddhisme enseigne l’impermanence en toutes choses. Autrement dit, c’est le changement qui représente la vraie nature des choses (Losier, 2008). Par conséquent, nos choix de carrière ne peuvent être réellement durables, cela dans un contexte socio-économique actuel ou c’est la définition de la carrière qui semble changer (Bujold et Gingras, 2000), de plus en plus considérée comme instable, inattendue, et insécurisante (Bujold et Gingras, 2000), tandis que les retours aux études (Guichard, 2003) et les transitions entre les emplois se multiplient (Michaud, 2006).

La pensée juste : elle représente le contraire de l’égoïsme et la centration sur soi uniquement. Le bouddhisme postule que notre propre bonheur passe immanquablement par celui des autres. En fait, en étant tourné vers les autres c’est à son propre équilibre que l’on travaille.  Serres (2014), résume cette pensée juste de la manière suivante :

  • ce qui est équitable
  • ce qui relève d’une compréhension juste
  • ce qui est éloigné des extrêmes
  • ce qui est vraiment sincère et se détourne du mensonge et ce qui est utile à soi et aux autres.

Au moment d’un choix de métier, il peut alors être intéressant de voir dans quelle mesure il serait possible d’intégrer alors des éléments qui nous permettent de développer cette pensée juste. Par exemple, faire le choix d’une carrière qui soit davantage tournée vers les autres peut représenter une telle concrétisation.

La parole juste : dans la continuité d’une orientation davantage centrée vers les autres, la parole juste réfère à l’authenticité, à la mesure et au fait de tenir compte de l’impact de nos mots sur les autres. Cette parole juste réfère à l’abstention du mensonge,  de la calomnie et des paroles dures à l’encontre des autres. On retrouve ici cette idée de bienveillance si chère au Bouddhisme.

Face à des choix de carrière, la parole juste nous invite alors à pousser plus avant l’exploration de ce qui compte à nos yeux tout autant que la manière avec laquelle nous en parlons.  Développer une parole juste consiste en une forme d’apprentissage.

La communication non violente (Rosenberg, 1999),  présente de nombreux points communs avec cette notion de parole juste.  En effet, Marshall Rosenberg illustre deux modes de communication diamétralement opposés. Tandis que le premier est basé sur la domination en ayant recours à des formes de violences verbales (menace), il cherche avant tout à convaincre, en manipulant l’autre par de la culpabilité. Dans des milieux de travail toxiques, il est fréquent d’observer un tel type de langage, de parole, détourné à des fins de contrôle et de pouvoir. Le second type de langage, à l’inverse, libère une parole authentique et qui permet à l’autre de répondre librement.

L’action juste : « de la même manière que la parole juste signifie éviter de causer du tort aux autres par ce qui est dit, l’action juste signifie éviter de causer du tort par ce que vous faites » (Landaw et Bodian 2007, p.69).  Là encore, l’enseignement bouddhiste consiste à se préoccuper des autres pour les aider et les protéger.  Au moment d’une réflexion sur un choix d’emploi ou d’études, cette notion d’action juste nous invite alors à nous interroger sur la nature même des rapports et des relations que nous souhaitons entretenir avec les autres.

 Les moyens d’existence justes: « en choisissant un métier ou une profession, vous pouvez gagner votre vie de différentes manières, mais si vous souhaitez  gagner plus que de la richesse matérielle, évitez alors dans votre emploi de recourir à des moyens qui peuvent nuire aux autres, de les manipuler ou de les tromper.  Il est évident qu’une profession dans laquelle vous pourriez leur venir en aide (au sens large) constitue un excellent moyen d’existence.  Mais même si vous n’occupez pas un tel emploi, vous pouvez tout de même chercher des moyens d’établir de belles relations avec les autres » (Landaw et Bodian 2007, p.62).

L’effort juste :  Il s’agit d’apprendre à devenir peu à peu plus sensible et plus conscient à ce qui se passe sans cesse dans son esprit et cela dans le but de ne plus se laisser déborder par ses pensées et émotions négatives, en particulier dans des  moments de vie difficiles et tels que peuvent l’être des situations d’impasses sur le plan professionnel.  La notion d’effort est à relier à celle d’une pratique spirituelle régulière, telle que celle portant à développer une attention qui soit juste.

L’attention  juste : tentez de vous concentrer sur le moment présent, car  comme le disait Tolstoï : « il n’y a qu’un seul moment qui importe, maintenant car c’est le seul sur lequel nous avons du pouvoir » (cité par Harris, 2012).  L’attention juste fait référence à la qualité d’attention qu’il est possible de développer dans l’ici et maintenant pour devenir plus sensible à ce qui se passe en nous et à l’extérieur de nous, et cela au lieu d’être perdu dans le tourbillon incessant de ses pensées.

Face  à une situation d’impasse sur le plan professionnel ou à l’heure des choix de carrière, il peut être fort utile de « s’observer de l’intérieur » de manière à être en mesure de rassembler des informations importantes sur ses ressentis afin de savoir s’il faut changer de comportement ou persister (Harris, 2012).  Des exercices de méditation de la pleine conscience peuvent alors être utiles pour se ressourcer, se recentrer, se concentrer et ainsi ramener ses pensées bloquées dans les ruminations du passé ou des inquiétudes envers l’avenir.

 La concentration juste : apprenez à développer une vision des choses qui soit moins soumise à l’état de vos émotions du moment… En ce sens, une vision plus profonde de la nature des choses. La pratique de la concentration juste vise à développer la capacité à rester centré (lesplusbeauxmatins.fr). Elle renforce et est renforcée par la concentration juste.  En pratiquant la concentration juste on accepte ce qui est, ce qui vient. On est investi dans l’instant présent, de tout son être. Tout ce qui vient vient. Lorsqu’on est sujet des inquiétudes vis-à-vis de sa carrière ou de son orientation professionnelle, il s’agit  alors d’accueillir ce que l’on vit avec recul et clairvoyance, comme on verrait défiler les nuages dans un ciel et sans chercher alors à s’y accrocher. Des techniques issues de la méditation de la pleine conscience et notamment présentes dans la thérapie d’acceptation et d’engagement peuvent y contribuer.

Tandis que les personnes qui consultent un conseiller d’orientation (ou un orienteur), expriment avant tout rechercher chez ce dernier une compétence à pouvoir recadrer leur situation problématique (Figler et Bolles, 1999, cités par Losier 2008), il apparaît que la sagesse du bouddhisme offre, en ce sens, de bien belles pistes d’investigation pour clarifier sa vraie nature et ses objectifs de vie.

L’acceptation et l’engagement au service de l’individu hypermoderne en quête de sens

Tandis que depuis déjà quelques décennies les idées et les valeurs qui sont représentatives de la modernité sont en crise (Aubert, 2006; Rhéaume, 2006),  à savoir la croyance en une grande science qui nous rendrait enfin tous libres et heureux, et sous l’influence grandissante de la consommation de masse, la postmodernité laisse peut à peu la place à celle à une nouvelle ère, celle de l’hypermodernité (Barus-Michel, 2006;  Jauréguiberry; 2004).

Dans cette hypermodernité, l’homme serait ainsi libéré de toute entrave, préoccupé avant tout par sa propre jouissance et son épanouissement personnel (Aubert, 2006).  Vincent de Gaulejac  (2011), évoque une injonction désormais forte  d’être un sujet pleinement autonome et fondamentalement individualiste (Aubert, 2006), qui navigue dans une mer teintée par l’idéologie de la réalisation de soi-même et soumise au culte de la performance et du dépassement de soi (Aubert, 2006).

Ainsi, l’épanouissement serait, en quelque sorte dépassé. Seule la performance subsisterait, tant pour l’organisation soumise aux impératifs de la concurrence globalisée, que pour  l’individu qui serait contrait à devoir adopter des normes de comportements impliquant le dépassement de ses propres limites.

Une vision qui fait froid dans le dos et malheureusement en partie vraie !

Alors que les salariés ont de moins en moins d’assurances par rapport à leur avenir professionnel,  ils sont pourtant sommés de s’engager sans cesse davantage dans leur travail, voire de s’y dépasser, notamment dans l’espoir de pouvoir le conserver (Hélardot, 2010).  Senett (2000), évoque à ce sujet les « incertitudes identitaires», qui en découlent, posant la question : «Comment un être humain peut-il se forger une identité et se construire un itinéraire dans une société faite d’épisodes et de fragments ? » (p.38). Gilles Herreros (2011), ajoute que dans les organisations «L’hypermodernité exige de chaque individu que toute sa personne soit mobilisée à son profit  pour réaliser ce qu’on attend de lui ».

L’idée défendue par Aubert (2005 ; 2006; 2008 ; 2010 ), est intéressante : D’un côté de l’hypermodernité, les individualistes flamboyants (cité par Gaulejac, 2006), toujours plus pressés et qui n’ont jamais été autant sollicités, interpellés, stressés et pressés, en quête d’épanouissement durable, de performance, soumis à l’excès d’eux-mêmes (Aubert, 2006), et qui se consument dans une sorte de frénésie d’hyperactivité.  De l’autre, se retrouvent alors les exclus de cette hypermodernité, condamnés à de la précarité ou de l’échec.

Dans une société québécoise (tel est aussi le cas pour l’ensemble des pays de l’OCDE), ou 35,8% des travailleurs estiment être en situation d’insécurité d’emploi (à savoir ne pas être en mesure de pouvoir s’y maintenir durablement) (Vézina, et al., 2011), et/ou les emplois à temps partiel ont cru de 32,8% (ISQ, 2011), entre 2000 et 2011, on peut en conclure qu’une large partie de la population se retrouve bien du côté des isolés.

Ainsi, la vacuité de l’existence des seconds s’opposerait ainsi à l’intensité de celle des premiers (Aubert, 2006).

Sur le plan professionnel, ceux qui seraient les « resplendissants » de cette hypermodernité occupent alors des fonctions d’encadrement, de gestionnaires de haut vol par exemple, sans cesse soumis à une accélération de leur rythme de travail.   Dans ce domaine, la seule loi possible de l’individu, c’est celle de son propre désir. Eugène Enriquez évoque ainsi l’apparition d’individus nouveaux « sans surmoi, sans idéal du Moi [sauf l’argent, le sexe, la sécurité ou la santé], et qui font de leur désir et de leur plaisir le paradigme de leur vie ». (Cité par Aubert, 2006). Les pathologies de l’épuisement professionnel concerneraient en priorité ces individus hypermodernes et « calcinés ».

On l’aura compris, cet individu hypermoderne n’est que dans une liberté apparente car, en réalité, il demeure sous haute tension (Aubert, 2006).

Et qu’arrive-t-il quand cet individu hypermoderne ne convient plus à son employeur, parce qu’il n’excelle plus ou parce qu’il ne parvient plus à suivre ou qu’il ne peut plus conserver son investissement passionnel (Aubert, 2006) à l’égard de son travail ?

Face à un tel contexte, nombreux sont les individus qui « craquent » et cherchent une porte de sortie à leur situation, tandis qu’il se sentent alors piégés, enfermés dans une voie qui, selon eux, ne présente aucune issue. D’un côté, un emploi qu’ils ne peuvent plus tenir et de l’autre la peur du vide, l’angoisse de l’après, l’inquiétude au sujet de leur propre devenir. Ils se sentent alors stressés, anxieux, parfois même désespérés.

Tandis que la souffrance au travail s’invite de plus en plus dans les demandes de consultation chez les conseillers en orientation (Baron, Baron et Grégoire, 2012), ces derniers ont, à leur disposition, une multitude de modèles pour accompagner leurs clients  ainsi « fragilisés ».

Au-delà des approches classiques sur lesquelles je n’aurais pas le temps, ici, de revenir, des approches récentes et issues du domaine de la psychologie clinique présentent d’intéressantes perspectives pour les conseillers d’orientation.

Selon Hayes, Strosal et Wilson, (1999), les fondateurs de l’ACT (pour thérapie d’acceptation et d’engagement), une des principales sources de nos difficultés réside dans notre incapacité encouragée par la société « à rester présents à la souffrance et ainsi à nous désengager de notre dialogue intérieur permanent pour agir en accord avec nos valeurs » (Hayes, 2009, p.1).

Ainsi, nous cherchons davantage à nous sentir bien plutôt qu’à identifier ce qui nous est réellement significatif en accord avec nos aspirations et besoins profonds.

Selon Hayes (2009)  » l’opinion dominante sur la souffrance est qu’il faut la réduire ou la faire disparaître afin que la vie puisse s’améliorer » (p.2). Le fond du problème serait donc la douleur elle-même. Plus précisément, ce serait la douleur associée à nos incertitudes, nos doutes sur notre avenir et sur nous-mêmes.

Dans une société aussi défiante à l’égard de tout ce qui pourrait nous faire « souffrir », les fondateurs de l’ACT se proposent donc de voir les choses bien autrement (Hayes, 2009). Ainsi, il s’agit de nous amener à considérer nos peurs, nos craintes et les pensées et émotions qui y sont associées comme étant des sources d’apprentissage, dans la mesure où ce n’est pas tant ce que nous pensons et ressentons qui importe, mais bien davantage la relation que nous entretenons avec nos pensées et ressentis.

Inspiré de la pleine conscience (avec, en arrière-plan, les fondements de la spiritualité bouddhiste), l’ACT valorise non pas le contrôle, mais l’acceptation; autrement dit, il ne s’agit pas de chercher à changer le contenu des pensées ou d’essayer de faire disparaître les émotions douloureuses, mais davantage d’amener l’individu à modifier la nature de la relation qu’il entretient  avec ses pensées et ses émotions (Monestès, Villatte, 2011).

Dans cette perspective, l’ACT (Hayes et al., 1999 ; 2012) propose essentiellement trois volets :

  1. Apprendre à accepter nos émotions et nos pensées (même les plus douloureuses) tout en demeurant en contact avec elles et sans se laisser paralyser par ces dernières en cultivant davantage le contact avec le moment présent;
  2. Choisir une direction qui soit congruente avec ses valeurs;
  3. Transposer ces valeurs en action et s’engager envers celles-ci;

Voici une intéressante perspective pour les conseillers d’orientation qui nous invite rien de moins qu’à aborder la condition humaine d’une manière radicalement originale (Harris, 2012), pour aider les individus à retrouver du sens à leur vie et, par extension, à leur travail.

 

Un portrait des immigrants français au Québec

Cet article s’inscrit dans la continuité de celui que j’avais rédigé au sujet de l’insertion professionnelle des immigrants sur le marché du travail québécois.

Étant moi-même français d’origine et installé au Québec depuis 2005, je souhaitais connaître la situation de mes compatriotes ici. C’est donc assez naturellement que je me suis brièvement penché sur la question. Je vous livre donc ici quelques éléments que j’ai retenus à ce sujet.

Tout d’abord un constat s’impose : les français n’ont jamais été aussi nombreux à se poser la question de savoir comment travailler au Canada.

Ainsi, et parmi les immigrants qualifiés, les immigrants provenant de la France seraient au nombre 120 000 au Québec (chiffre non vérifié, Consulat général de France, 2013) et dont 90% seraient établis dans la grande région de Montréal.

Il apparaît qu’ils présentent, à de nombreux égards, le portrait d’une « immigration réussie » (Linquette, 2008). En effet et bien que sur le plan socio-économique (MICC, 2006, cité par Linquette, 2008), plusieurs informations intéressantes ressortent, telles que 36.7% de cette population immigrante détient un grade universitaire ou encore que les revenus moyen (37 371 $) et médian (29 002 $) de la population  immigrée provenant de la France étaient, en 2006, plus élevés que ceux de l’ensemble de la population québécoise (32 074 $ et 24 430 $ respectivement), il en ressort néanmoins un chiffre plutôt surprenant : celui du taux de rétention de cette population au Québec !

En effet et même s’il n’existe pas de chiffres officiels en la matière qui fassent consensus, le journaliste de l’émission Enjeux diffusée sur Radio Canada le 8 juin 2004 (cité par Linquette, 2008), avançait « que ce n’est pas 5%, mais 20% des Français qui quittent le Québec après deux ans et demi, un autre tiers après 5 ans et près de 50% au bout de huit ans ! » (p.67).

Une chose semble donc ressortir : les immigrants provenant de la France seraient, parmi les différentes communautés d’immigrants qualifiés s’installant au Québec, ceux qui, en proportion, sont les plus nombreux à repartir dans leur pays d’origine après quelques années passées au Québec !

À cela plusieurs explications sont possibles.

Contrairement à une immigration de type « sud-nord » ou le retour au pays d’origine est difficilement envisageable, l’option du retour pour les immigrants provenant de la France est rarement exclue sans être pour autant synonyme d’échec (Papinot, Leher, Vilbrod, 2012).

De plus, le Québec est en compétition avec les autres pays de l’OCDE ainsi qu’avec le reste du Canada pour attirer et sédentariser cette population très qualifiée qui est, par essence, très mobile.  Ainsi et au-delà du défi que constitue d’avoir à séduire et inciter ces immigrants qualifiés à venir vivre et travailler au Québec, il est tout autant question de leur permettre de s’y sédentariser durablement !

En effet et tout comme les autres groupes d’immigrants, les Français et plus que les Québécois, « à  défaut de trouver un emploi correspondant à leurs attentes et à leurs compétences, seraient donc poussés à accepter des emplois atypiques » (Boulet, 2008, p.44).  Cette situation entraîne de possibles difficultés de maintien en emploi et cela consécutivement à une insatisfaction durable. Dès lors se pose alors sérieusement pour eux  la question du retour en France.

À titre d’exemple et dans leur étude portant sur l’insertion professionnelle de jeunes Français à Montréal ayant décidé de retourner en France (Papinot, Leher, Vilbrod (2012), les auteurs rapportent que sur les dix-huit Français interrogés, seuls dix avaient réussi à décrocher un emploi stable durant leur séjour (de 6 ans) au Québec.  De plus et pour ceux restés au Québec, ce sont alors cinq sur vingt-cinq interrogés qui occupaient en 2012 un emploi permanent (soit 20% seulement), tandis que cinq autres occupaient un emploi de travailleur autonome au moment de l’enquête.

Ils précisent qu’il  apparaît dès lors « qu’instabilité et déclassement participent sans aucun doute de la décision de rentrer en France et, de fait, un des points d’achoppement semble manifestement se constituer autour d’une adaptation à la flexibilité d’emploi comme norme du marché du travail nord-américain » (p.343).

Cette situation qui témoigne d’une relative difficulté du Québec à garder sur son sol une population aussi qualifiée est là encore d’autant plus regrettable pour la province que l’immigration française y pèse tout de même d’un certain poids tant sur le plan démographique qu’économique, dans un contexte, ou le Québec connaît actuellement,  rappelons-le, une situation de pénurie de main-d’œuvre qualifiée !

Sur le plan politique, la question est clairement d’actualité puisque le gouvernement provincial est actuellement en train d’opérer certains changements, s’inspirant ainsi de la modernisation de la loi sur l’immigration  faite par Ottawa. Je journal le Devoir (2015) souligne à cet effet que  » l’accent sera mis sur l’économie, par une meilleure adéquation entre le recrutement des immigrants et les besoins de main-d’oeuvre « .  » La clé : dénicher les candidats ayant le bon profil pour occuper les emplois vacants ».

Même si de ce point de vue, les lignes de force semblent bouger, il n’en demeure pas moins qu’au niveau des individus la réalité demeure bien contrastée.

 

Les immigrants et le marché du travail québécois

Les écrits sont innombrables sur la réalité socioéconomique des immigrants au Québec et mon intention, ici, ne consiste nullement à vouloir en retracer les principaux contours, mais bien davantage de tenter de présenter un portrait chiffré de leur situation sur le plan de leur insertion économique actuelle.

Avec 51 959 nouveaux admis en 2013, le Québec accueille un nombre croissant d’immigrants sur son territoire (Immigration, Diversité et Inclusion, 2014), c’est un fait. Autre fait incontestable : ces derniers contribuent indiscutablement au développement économique, linguistique et démographique de la province (MICC, 2011), tandis que  la pénurie de main-d’œuvre qualifiée demeure bien réelle, puisque la fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ, 2010, p.2), précise qu’à partir de 2012-2013 « les personnes qui ont quitté le marché du travail étaient plus nombreuses que celles qui intégreront la population active ». En résumé, il y a donc un besoin réel de main-d’œuvre qualifiée dans la province ! (c’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble du Canada), et c’est une bonne nouvelle pour tous ceux et celles qui projettent justement de venir vivre dans la belle province.
Pourtant, et c’est ici que le ciel s’assombrit quelque peu.

En effet, tout d’abord, il est intéressant de constater que la majorité des immigrants prépare assez peu son intégration sur le marché du travail (et c’est normal puisqu’il s’agit d’abord, pour certains, d’assurer leur sécurité en s’établissant dans un pays « libre »). Autrement dit, l’essentiel consiste d’abord à faire le grand saut puis après seulement à s’intéresser à son « employabilité ». C’est alors souvent la découverte et les « mauvaises » nouvelles peuvent alors apparaître (non-reconnaissance de la plupart des diplômes étrangers par exemple). Ce manque de préparation peut expliquer, en partie seulement, le taux de chômage des immigrants qui est significativement plus élevé que celui des Québécois de « souche ».

En fait, l’essentiel de l’explication se trouve ailleurs, mais tout d’abord, voici plusieurs éléments chiffrés qui permettent de brosser un portrait plus précis de leur situation :  en 2006, le taux d’emploi de la population native du Québec (82,6%) était de 11,4 points de pourcentage supérieur à celui des immigrants (71,2%). De plus, le taux de chômage des immigrants y était de 11,2% de la population active, contre 5,2% pour les natifs (Boulet et al., 2010).

Stéphane Marion, chef économiste de la Banque Nationale et interrogé par le journal Les Affaires (2015), précise que le Québec doit absolument mieux intégrer sur le marché du travail les immigrants s’il veut avoir une chance de maintenir une croissance économique. D’ailleurs et comparativement aux autres grandes villes canadiennes, l’orientation au Québec est primordiale car c’est ici que l’intégration économique des immigrants qualifiés y est la plus difficile. Ainsi, le taux de chômage de ces immigrants de langue française atteint 27% à Montréal, tandis qu’il se situe à 14% dans la ville de Toronto (Marion, 2015).

Concernant ce que Girard, Smith et Renaud (2008), qualifie de « discrimination statistique de la part des employeurs », ils avancent l’explication selon laquelle « les employeurs généralisent les caractéristiques de certains immigrants, considérant leur expérience de travail et leur éducation de qualité inférieure à celles acquises au Canada » (p.793).

Conscients d’avoir à acquérir rapidement des premières expériences professionnelles « locales » afin de rassurer les employeurs sur leurs compétences, les immigrants qualifiés seraient d’eux-mêmes enclins à un certain déclassement, en acceptant des premières expériences professionnelles au Québec qui sont situées en dessous de leurs qualifications, gage, croient-ils, d’une meilleure intégration par la suite.

Dans ces conditions, ce sont 43% des travailleurs immigrants âgés de 25 à 54 ans qui se trouvaient en situation de surqualification en 2012, contre 29,7% pour le reste de la population  (MICC, 2013).

Alors qu’ils espèrent que cette situation sera temporaire, celle-ci peut être amenée à perdurer dans le temps dans la mesure où désormais les employeurs successifs se basent sur le niveau du premier emploi pour évaluer de tels candidats. En fait et si l’acceptation d’un emploi sous-qualité contribue, dans un premier temps, à les insérer sur le marché du travail, il entraîne pourtant, par la suite, de fâcheuses conséquences négatives pour les immigrants qualifiés (Bégin, 2009).

En conséquence, leur « suréducation » à l’effet inverse puisqu’elle freine les « possibilités de mobilité ascendante » (Bégin, 2009, p.280).

Girard, Smith et Renaud, (2008), résument cette situation ainsi : « plus le statut économique avant l’immigration est élevé, plus les chances sont faibles de retrouver ce statut une fois au Québec ! » (p.795).

Ils ajoutent que le Canada perd chaque année entre 2 et 5,9 milliards de dollars justement à cause de la sous-utilisation de la compétence des immigrants.

En synthèse et dans son rapport sur la qualité d’emploi des immigrants du Québec par rapport aux natifs, Boulet (2011), précise que ces derniers rencontrent finalement 3 problèmes majeurs sur le marché du travail:

  1. L’emploi atypique (emploi permanent et à temps partiel, temporaire, travail autonome) y est nettement plus fréquent chez cette population;
  2. La surqualification chez les immigrants est plus fréquente que chez les natifs
  3. Le fossé se creuse entre le salaire des immigrants et celui des natifs.

Sur la durée, Renaud (2004) rapporte des éléments suivants :

  • 50% ont trouvé un emploi dans les premières 15 semaines d’arrivée ¤ à la 1re année d’installation,  22% disent faire un travail requérant des qualifications supérieures à celui qu’ils effectuaient dans leur pays d’origine.
  • À la 3e année d’établissement, ce qui correspond à peu près au 4e emploi, on observe une stabilité en emploi.
  •   Il faudra attendre 10 ans pour que 75% des répondants affirment occuper un poste égal ou supérieur à celui occupé dans le pays d’origine.

Dans ces conditions, il est important, pour ceux qui souhaitent s’insérer durablement au Québec, de prendre soin de bien s’informer et se faire conseiller afin de savoir comment travailler au Canada et cela de manière à être ensuite en mesure d’élaborer une stratégie claire et réaliste. Le but étant ainsi d’éviter d’être confronté à une forme de « précarité » au travail qui, à la longue, serait susceptible d’affecter leur moral, voir leur état de santé psychologique  (Kapsalis et Tourigny 2004, cités par Cloutier-Villeneuve, 2014), affectant  même, chez certains, leur optimisme et leur rêve d’une vie meilleure au Québec.

L’orienteur et le conseiller d’orientation

En se référant au guide d’évaluation édité par l’OCCOQ en 2010 (Ordre des Conseillers et Conseillères d’Orientation du Québec), voici ci-dessous à quoi correspond aujourd’hui le champ d’exercice de la profession d’orienteur et qui peut se résumer de la manière suivante :

« Évaluer le fonctionnement psychologique, les ressources personnelles et les conditions du milieu, intervenir sur l’identité ainsi que développer et maintenir des stratégies actives d’adaptation dans le but de permettre des choix personnels et professionnels tout au long de la vie, de rétablir l’autonomie socioprofessionnelle et de réaliser des projets de carrière chez l’être humain en interaction avec son environnement » (OCCOQ, 2010).

Si l’on remonte un peu le fil du temps, on s’aperçoit que notre profession a beaucoup évolué afin de s’adapter aux besoins changeants de la population (Michaud, 2006). En effet, sous l’impulsion de la diversification des emplois (Savickas, Nota et al., 2010), notre mission s’est progressivement élargie, en ajoutant à la mission historique d’éducation au choix de métier dans le milieu scolaire (Michaud, 2006), l’accompagnement au développement et à la gestion de la carrière dans une perspective d’orientation tout au long de la vie (Hall, 1996 ; Littleton, Arthur et  Rousseau, 2000 ; Gingras, 2005).

Afin de répondre aux problématiques d’impasses professionnelles et plus largement au caractère imprévisible et parfois chaotique des changements d’emplois (Michaud, 2003) et qui sont de plus en plus fréquents, les modèles d’accompagnement en orientation prennent en compte de nouvelles notions, par exemple, l’incertitude (Gelatt, 1989), le paradoxe (Admunson et al., 2014), le hasard et le chaos (Krumboltz, 1998, 2011). Bref, l’orientation se modernise. De plus, les conseillers d’orientation ont aujourd’hui pour mandat d’évaluer le fonctionnement psychologique de leurs clients et cela dans un contexte ou les préoccupations relatives à la carrière représentent des facteurs de stress pour les individus (Probst, 2005), et ou il apparaît être plus délicat qu’auparavant de gérer son parcours professionnel, tant pour ces derniers que pour ceux qui ont pour objectif est de les y accompagner, c’est à dire les conseillers d’orientation  (Dussault, Fournier et al., 2009).

La profession d’orienteur

Le terme orienteur, bien que toujours très présent dans la bouche de celles et de ceux qui cherchent une aide pour leur carrière ou leurs études, fait plutôt référence à un temps ancien ou le rôle du c.o était alors cantonné aux seules écoles secondaires québécoises.  On retrace d’ailleurs l’origine de ce terme possiblement à l’établissement de l’association des orienteurs professionnels (Mellouki, Beauchemin, 1994) au Québec, et avant que celle-ci ne se transforme en un ordre professionnel en 1994.

Une fois par année, chaque élève du collégial qui arrivait à la fin de son parcours, était alors amené à rencontrer un c.o qui allait  ainsi établir des prédictions quant à son avenir professionnel, se trompant bien souvent d’ailleurs ! Nombreuses sont les histoires d’individus déçus de ce que leur c.o d’alors leur avait prédit tandis qu’à 15 ou 16 ans ils ne savaient eux-mêmes pas quel métier choisir (ce qui est normal à cet âge-là !) . Autant dire que la réputation, parfois mauvaise, de notre profession remonte probablement à cette époque « d’espérances déçues ».  Le terme orienteur nous ramène peut-être un peu à cela… « Celui qui croit savoir et qui finalement ne sait pas grand-chose »… Certaines mauvaises langues pourraient-elles affirmer.

Ceci dit, l’orientation demeure une profession complexe, au confluent de la psychologie, des ressources humaines et de l’éducation, alors même que le travail reste une dimension centrale dans la vie des gens. Par ailleurs, comment évaluer un processus d’orientation efficace et utile ?…Sur quels critères précis faudrait-il se baser ? Celui d’être enfin en mesure de faire LE bon choix ?  Pas si évident  que cela, surtout quand la personne ne sait pas elle-même quelle décision prendre…

Quand on consulte un professionnel de la santé, on peut «mesurer» l’efficacité d’une intervention….un problème de dos qui se règle, une dent bien soignée….mais en relation d’aide et qui plus est quand celle-ci renferme une forte composante psychologique….difficile de dire précisément de quelle manière le conseiller d’orientation a pu être «utile» pour son client….d’autant que les attentes sont souvent très élevées puisqu’être sur la bonne voie professionnelle n’augmenterait-il pas « le taux de bonheur » ? Tout un programme… Cela est d’autant plus délicat que 51% à 60% des individus qui consultent aujourd’hui un orienteur souffrent d’un niveau élevé de détresse psychologique, justement en relation avec des difficultés de prise de décision (Multon et al., 2001; 2007).

L’orienteur c’est un peu comme cette vieille connaissance, ce cousin éloigné,  qu’on connaît bien et avec lequel on n’a pas nécessairement de bons souvenirs, mais qui nous ramène, presque un peu malgré nous, à des temps anciens, ceux d’une jeunesse hésitante, empreinte au doute et aux questionnements alors qu’on attendait, alors fébrile, que quelqu’un nous désigna volontiers une «voie toute tracée »…

 

Les intérêts professionnels

Les intérêts sont le reflet de notre personnalité, de nos motivations et de notre concept de soi. Ils sont à la fois héréditaires et appris. Bien qu’ils puissent changer, ils sont tout comme les traits de personnalité, relativement stables (Borsenberger, 2015).

Les tests les plus couramment utilisés dans une démarche d’orientation sont ceux qui tentent d’établir un profil d’intérêts (source : Borsenberger). Il est important de distinguer les intérêts des aptitudes et des profils de personnalité. Le profil d’intérêts aide à définir la direction qu’une personne désire prendre concernant sa vie professionnelle et ce qui peut lui permettre de donner un sens à sa carrière.

Pour parler des intérêts, il existe plusieurs théories, mais la plus populaire demeure la typologie du chercheur américain John Holland qui comprend les six types de personnalité (Réaliste, Investigateur, Artistique, Social, Entreprenant, Conventionnel). Ce modèle a pour nom le RIASEC et prend la forme d’un hexagone :

Les principe de base de la théorie de John Holland sont les suivants (Grégoire, 2012) :

1.Les choix de carrière que les individus effectuent sont le reflet de leur personnalité.

2.Dans notre société nord-américaine, la plupart des individus peuvent être classés en fonction de leur degré de ressemblance avec 6 types de personnalité : les réalistes, les investigateurs, les artistiques, les sociaux, les entrepreneurs, et les conventionnels.

3.Les environnements de travail peuvent eux aussi être classés en fonction de leur degré de ressemblance avec six types d’environnements. Des environnements de types réalistes, investigateurs, artistiques, sociaux, entrepreneurs et conventionnels.

4.La satisfaction, la stabilité et le succès sur le plan vocationnel dépendent de la congruence entre la personnalité de l’individu et l’environnement dans lequel il travaille.

Dans le cadre d’un processus d’orientation, Orientation Québec est amené à vous proposer la passation d’un questionnaire disponibles sur mon site, visant à définir votre profil RIASEC. Cette information peut être bien utile car elle facilite ensuite l’exploration de programmes de cours et de métiers (via un site réservé aux conseillers d’orientation) qui sont concordants avec ce profil RIASEC identifié.

Approche d’acceptation et d’engagement

Selon Hayes, Strosal et Wilson, (1999), les fondateurs de l’ACT (pour thérapie d’acceptation et  d’engagement), une des principales sources de nos difficultés réside dans notre incapacité encouragée par la société « à rester présents à la souffrance et ainsi à nous désengager de notre dialogue intérieur permanent pour agir en accord avec nos valeurs » (Hayes, 2009, p.1).

Ainsi, nous cherchons davantage à nous sentir bien plutôt qu’à identifier ce qui nous est réellement significatif en accord avec nos aspirations et besoins profonds (nos valeurs). Selon l’ACT, ce sont la trop grande fusion avec nos pensées et l’évitement de nos expériences intérieures, même douloureuses, qui sont à l’origine de la plupart de nos souffrances psychologiques.

Dans une société aussi défiante à l’égard de tout ce qui pourrait nous faire « souffrir », les fondateurs de l’ACT se proposent donc de voir les choses bien autrement (Hayes, 2009). Ainsi, il s’agit de nous amener à considérer nos peurs, nos craintes et les pensées et émotions qui y sont associées comme étant des sources d’apprentissage, dans la mesure où ce n’est pas tant ce que nous pensons et ressentons qui importe, mais bien davantage la relation que nous entretenons avec nos pensées et ressentis.

L’intérêt de l’ACT réside dans le fait que cette approche vise à aider la personne à retrouver de la flexibilité psychologique.  Autrement dit, il s’agit de développer la capacité à ne pas agir uniquement dans le but de vouloir absolument modifier les pensées, émotions et sensations que nous percevons comme étant douloureuses (Villatte, Monestès, 2010). Le sens de l’ACT peut se résumer ainsi : « créer une vie riche et pleine de sens tout en acceptant la douleur qui l’accompagne » (Harris, 2012, p.25).

Références

Grégoire, S. (2010). L’apport des programmes basés sur la pleine conscience en counseling de carrière. Communication présentée dans le cadre du colloque de l’OCCOPPQ, Québec, juin 2010.

Piot, F. (2014). La thérapie d’acceptation et d’engagement appliquée au counseling de groupe auprès d’adultes en situation de bilan de compétences et dans une perspective de bilan de carrière. Communication donnée à l’Université du Québec à Montréal dans le cadre des conférences « De la pratique à l’Université » du cours Séminaire d’intégration (CAR 8901) sous la direction de Louis Cournoyer, professeur, Montréal.

Le Flow ou la recherche de l’expérience optimale dans le travail

Appartenant au thème des expériences subjectives positives, le concept de flow (ou d’expérience optimale) a pour père fondateur le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi (1965).  Selon lui, l’expérience optimale « produit un sentiment d’enchantement profond qui est si intense que les gens sont prêts à investir beaucoup d’énergie afin de le ressentir à nouveau »  (Csikszentmihalyi, 2004, p.80). Autrement dit, il y a une telle intensité dans ce qu’on fait qu’on en oublie le reste….Cela peut être un menuisier en train de fabriquer un meuble ou un publicitaire qui réfléchit à un nouveau slogan par exemple.

Plus précisément, sa recherche et sa théorisation du concept d’expérience optimale découlent d’un souci de décrire et de mieux comprendre les caractéristiques d’expériences qui procurent un si haut niveau de plaisir et de satisfaction chez les individus qui les vivent (Nakamura et Csikszentmihalyi, 2002).

Pour Csikszentmihalyi (2004), le travail peut ressembler à un jeu si les objectifs définis à l’intérieur de celui-ci sont clairs et s’il donne l’occasion de vivre une rétroaction immédiate (Brathod-Prothade, 2012). Le flow doit représenter un point équilibre entre ce que l’individu perçoit du niveau de difficulté correspond à l’activité ou la tâche qu’il doit réaliser en lien avec son propre niveau de compétences.

Les 8 caractéristiques fondamentales pour ressentir du flux (ou flow en anglais) dans ce que vous êtes en train de faire sont les  suivantes :

La théorie du flux invite donc à rechercher des activités (y compris un emploi) qui seraient propices à en vivre le plus possible.

Ce qui est intéressant réside dans le fait que c’est précisément dans le travail que nous sommes susceptibles d’en vivre le plus car c’est grâce à celui-ci qu’il nous est (en théorie) le plus possible d’utiliser au maximum nos capacités et compétences.

Les résultats de l’étude de Demerouti (2006) portant sur les relations entre les expériences optimales et la performance au travail tendent à confirmer que certaines caractéristiques d’emplois comme la variété des tâches, l’autonomie, la rétroaction sur l’exécution des tâches, la bonne identification des tâches ainsi que la signification qu’elles recouvrent pour l’employé sont bien des caractéristiques qui favorisent l’apparition d’expériences optimales durant le travail.

Dans la recherche d’un emploi, il est alors important de prêter attention aux caractéristiques suivantes, telle que l’autonomie, le support des autres, le coaching et la rétroaction sur les performances car elles représentent les éléments essentiels favorisant l’émergence d’expériences optimales.

La notion de flow peut nous aider à prendre des décisions professionnelles de deux façons :

Premièrement par la conversation et lors de vos rencontres conversationnelles, n’hésitez pas à demander à vos interlocuteurs quels types d’activités ils accomplissent en général quand ils vivent du flux dans leur travail.

De plus, pourquoi ne pas décider de tenir un journal de flux pendant une semaine ou davantage en notant, quotidiennement, les types d’activités qui vous en procurent (dans le travail ou les loisirs). Cela vous aidera par la suite à identifier des types de métiers qui pourraient être plus épanouissants pour vous.

Attention, le flux ne fait pas tout ! Nous avons besoin d’en retrouver dans notre travail, tout autant que nous avons aussi besoin que celui-ci puisse incarner nos valeurs profondes. Autrement dit, nous avons besoin de flux et de sens !

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