Un portrait des immigrants français au Québec
Cet article s’inscrit dans la continuité de celui que j’avais rédigé au sujet de l’insertion professionnelle des immigrants sur le marché du travail québécois.
Étant moi-même français d’origine et installé au Québec depuis 2005, je souhaitais connaître la situation de mes compatriotes ici. C’est donc assez naturellement que je me suis brièvement penché sur la question. Je vous livre donc ici quelques éléments que j’ai retenus à ce sujet.
Tout d’abord un constat s’impose : les français n’ont jamais été aussi nombreux à se poser la question de savoir comment travailler au Canada.
Ainsi, et parmi les immigrants qualifiés, les immigrants provenant de la France seraient au nombre 120 000 au Québec (chiffre non vérifié, Consulat général de France, 2013) et dont 90% seraient établis dans la grande région de Montréal.
Il apparaît qu’ils présentent, à de nombreux égards, le portrait d’une « immigration réussie » (Linquette, 2008). En effet et bien que sur le plan socio-économique (MICC, 2006, cité par Linquette, 2008), plusieurs informations intéressantes ressortent, telles que 36.7% de cette population immigrante détient un grade universitaire ou encore que les revenus moyen (37 371 $) et médian (29 002 $) de la population immigrée provenant de la France étaient, en 2006, plus élevés que ceux de l’ensemble de la population québécoise (32 074 $ et 24 430 $ respectivement), il en ressort néanmoins un chiffre plutôt surprenant : celui du taux de rétention de cette population au Québec !
En effet et même s’il n’existe pas de chiffres officiels en la matière qui fassent consensus, le journaliste de l’émission Enjeux diffusée sur Radio Canada le 8 juin 2004 (cité par Linquette, 2008), avançait « que ce n’est pas 5%, mais 20% des Français qui quittent le Québec après deux ans et demi, un autre tiers après 5 ans et près de 50% au bout de huit ans ! » (p.67).
Une chose semble donc ressortir : les immigrants provenant de la France seraient, parmi les différentes communautés d’immigrants qualifiés s’installant au Québec, ceux qui, en proportion, sont les plus nombreux à repartir dans leur pays d’origine après quelques années passées au Québec !
À cela plusieurs explications sont possibles.
Contrairement à une immigration de type « sud-nord » ou le retour au pays d’origine est difficilement envisageable, l’option du retour pour les immigrants provenant de la France est rarement exclue sans être pour autant synonyme d’échec (Papinot, Leher, Vilbrod, 2012).
De plus, le Québec est en compétition avec les autres pays de l’OCDE ainsi qu’avec le reste du Canada pour attirer et sédentariser cette population très qualifiée qui est, par essence, très mobile. Ainsi et au-delà du défi que constitue d’avoir à séduire et inciter ces immigrants qualifiés à venir vivre et travailler au Québec, il est tout autant question de leur permettre de s’y sédentariser durablement !
En effet et tout comme les autres groupes d’immigrants, les Français et plus que les Québécois, « à défaut de trouver un emploi correspondant à leurs attentes et à leurs compétences, seraient donc poussés à accepter des emplois atypiques » (Boulet, 2008, p.44). Cette situation entraîne de possibles difficultés de maintien en emploi et cela consécutivement à une insatisfaction durable. Dès lors se pose alors sérieusement pour eux la question du retour en France.
À titre d’exemple et dans leur étude portant sur l’insertion professionnelle de jeunes Français à Montréal ayant décidé de retourner en France (Papinot, Leher, Vilbrod (2012), les auteurs rapportent que sur les dix-huit Français interrogés, seuls dix avaient réussi à décrocher un emploi stable durant leur séjour (de 6 ans) au Québec. De plus et pour ceux restés au Québec, ce sont alors cinq sur vingt-cinq interrogés qui occupaient en 2012 un emploi permanent (soit 20% seulement), tandis que cinq autres occupaient un emploi de travailleur autonome au moment de l’enquête.
Ils précisent qu’il apparaît dès lors « qu’instabilité et déclassement participent sans aucun doute de la décision de rentrer en France et, de fait, un des points d’achoppement semble manifestement se constituer autour d’une adaptation à la flexibilité d’emploi comme norme du marché du travail nord-américain » (p.343).
Cette situation qui témoigne d’une relative difficulté du Québec à garder sur son sol une population aussi qualifiée est là encore d’autant plus regrettable pour la province que l’immigration française y pèse tout de même d’un certain poids tant sur le plan démographique qu’économique, dans un contexte, ou le Québec connaît actuellement, rappelons-le, une situation de pénurie de main-d’œuvre qualifiée !
Sur le plan politique, la question est clairement d’actualité puisque le gouvernement provincial est actuellement en train d’opérer certains changements, s’inspirant ainsi de la modernisation de la loi sur l’immigration faite par Ottawa. Je journal le Devoir (2015) souligne à cet effet que » l’accent sera mis sur l’économie, par une meilleure adéquation entre le recrutement des immigrants et les besoins de main-d’oeuvre « . » La clé : dénicher les candidats ayant le bon profil pour occuper les emplois vacants ».
Même si de ce point de vue, les lignes de force semblent bouger, il n’en demeure pas moins qu’au niveau des individus la réalité demeure bien contrastée.